Conférenciers
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Alexandra Posadzki
Globe and Mail (Modératrice)
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Elisa Kearney
Davies
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John Lawford
Centre pour la défense de l’intérêt public
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Vass Bednar
Université McMaster
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John Pecman
Enjeux principaux
- La Loi sur la concurrence est-elle adaptée au 21e siècle?
- Comment les données influencent-elles la dynamique des marchés et le pouvoir de marché?
- Comment le droit et la politique de la concurrence interfèrent-ils avec d’autres domaines politiques, tels que le respect de la vie privée? De quelle manière la réforme de la concurrence devrait-elle tenir compte de ces objectifs?
- Quelles modifications devraient être apportées à l’organisme de réglementation canadien se consacrant à la concurrence en ce qui concerne l’économie des plateformes? Quelle est l’incidence de la position unique qu’occupe le Canada en tant que fédération et principal partenaire commercial des États-Unis sur l’organisme de réglementation?
- Le Bureau de la concurrence devrait-il accorder la priorité à la protection des consommateurs? Et comment devrait-il s’y prendre avec les autorités provinciales de protection des consommateurs et les organismes fédéraux de réglementation sectorielle?
Aperçu de la discussion
Le débat sur la politique de la concurrence au Canada gagne en ampleur. La consultation du sénateur Howard Wetston qui s’est déroulée à l’automne 2021 a donné suite à plus d’une vingtaine de commentaires, dont les participants occupent en grande partie trois positions politiques. Les premiers participants adhèrent au camp « statu quo » : ils croient que la Loi sur la concurrence est adaptée à l’ère numérique et qu’il est nécessaire d’apporter des révisions ciblées plutôt que des changements drastiques. Dans le camp qui se décrit comme « néo-brandeisien », les participants adhèrent, en grande partie, à la conviction selon laquelle la « dominance incontrôlée » des géants de la technologie a freiné l’innovation, a placé des obstacles à l’entrée sur d’importants marchés et a soumis les petites entreprises à adopter un comportement anticoncurrentiel. Les participants du troisième camp, qui suivent un « modèle européen », ont signifié que la concurrence est liée aux problèmes sociaux, politiques et environnementaux, et que la réglementation ex ante qui encourage les processus proconcurrentiels plutôt que de cibler des résultats est préférable au modèle d’imposition canadien actuel. Le débat entourant la réforme de la concurrence est à la fois mécanique et philosophique, c’est-à-dire qu’il nécessite de comprendre le rôle et l’association de différents éléments ensemble et qu’il demande de faire preuve de discernement quant aux connaissances perçues de l’économie et à la manière dont elle sera rattachée aux autres objectifs sociaux pour les années 2020 et suivantes.
Les panélistes ont délibéré sur le rôle des données dans l’économie et sur la nature unique de l’économie des plateformes. L’économie des plateformes est diversifiée : certaines plateformes sont des oligopoles, comme les magasins d’applications, tandis que d’autres sont confrontées à une concurrence importante. Dans les secteurs bancaires et des télécommunications, les données personnelles sont recueillies et utilisées par l’entremise de programmes de fidélisation; dans l’économie des plateformes, les données personnelles et la protection de la vie privée fonctionnent désormais comme une nouvelle devise. En outre, cette économie a créé de nouveaux problèmes tout en aggravant ceux qui existaient déjà, dont les problèmes liés à la transparence et aux consommateurs. Par exemple, le contrôle qu’ont les entreprises sur les données mène à une dominance qui se renforce d’elle-même. Dans le cadre du prochain examen de la Loi sur la concurrence, il serait très judicieux de reconsidérer la priorité accordée à l’efficacité, puisqu’il est difficile de mesurer les préjudices aux consommateurs dans l’économie des plateformes, et que les économies d’échelle et les effets du réseau ont grandement amélioré l’efficacité.
La Loi sur la concurrence constitue un instrument clair et productif permettant de déterminer les secteurs de l’économie des plateformes qui sont des questions d’antitrust, donc sujets à la loi sur la concurrence, et les secteurs qui relèvent de la loi sur la protection des renseignements personnels. À titre d’exemple récent, prenons la géolocalisation des utilisateurs de l’application de Tim Hortons : il s’agit d’une question de vie privée, parce que les données n’ont pas été utilisées dans un contexte concurrentiel. Toutefois, l’utilisation qu’a faite Amazon des données sur les ventes au détail de petites entreprises afin de stimuler ses propres ventes est une question de concurrence. Lorsqu’il est question de tarification établie selon un algorithme très personnalisé, par le biais de services comme Uber, on ne sait pas si la Loi sur la concurrence est le meilleur outil pour traiter cette caractéristique de l’économie des plateformes. La protection des renseignements personnels et la concurrence au Canada doivent faire l’objet d’une réforme et présenter des recoupements et des intégrations dans la loi qui sont plus clairs afin de réduire les dommages causés au public.
Bien que le Canada soit en retard par rapport aux autres pays en ce qui concerne la réforme de la réglementation sur la concurrence, cela peut également jouer en sa faveur en constatant les résultats des solutions adoptées dans des pays semblables et en appliquant les leçons tirées à une solution propre au Canada. L’Union européenne explore la création de nouveaux organismes de réglementation, tandis que le Royaume-Uni donne un nouveau souffle à des organismes de réglementation existants et a recours à des comités de coordination. Les États-Unis ont opté pour une approche hybride en conservant une réglementation ex ante pour les grandes plateformes. Les approches de ces pays amènent à une réflexion canadienne : « Devrait-on intégrer de nouveaux outils ou un nouvel organisme de réglementation au domaine de la politique de la concurrence ou est-il nécessaire d’améliorer ce qui est déjà en place? » Il est important de noter qu’il n’y a pas de protection des consommateurs au niveau fédéral au Canada, que le pays est un marché secondaire, que la relation de commerce entre les États-Unis et le Canada est unique et que les institutions canadiennes sont différentes de celles qu’on retrouve en Europe et aux États-Unis.
Informations clés
- La politique de la concurrence canadienne se trouve à un carrefour décisif où on se demande si la Loi sur la concurrence est un outil adéquat pour résoudre les problèmes découlant de l’économie des plateformes, et pour apporter les méthodes que pourrait employer l’organisme de réglementation en matière de concurrence pour entretenir une meilleure communication avec les autres domaines politiques et organismes de réglementations.
- La réforme de la concurrence en ce qui concerne l’économie des plateformes devrait être une solution conçue au Canada qui tient compte de son rôle unique de marché secondaire, des relations fédérales-provinciales et des institutions.
- Bien que les objectifs relatifs à la protection de la vie privée et à l’économie doivent figurer dans la déclaration d’intention de la Loi sur la concurrence, le Bureau de la concurrence peut s’impliquer davantage dans un rôle de coordination afin d’améliorer l’économie des plateformes pour les Canadiens.
- Une vision d’ensemble sur le rôle des données au Canada permettrait d’améliorer bien des problèmes liés à la politique de la concurrence et à ses domaines connexes.
- La création d’un organisme de réglementation fédéral consacré à la protection des consommateurs au Canada permettrait d’améliorer ce domaine, plutôt qu’un ensemble d’organismes de réglementation provinciaux.