Conférenciers
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Dre Emily Laidlaw
Université de Calgary
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Michael Lee-Murphy
The Wire Report (animateur)
Enjeux principaux
- À quoi devrait ressembler un cadre réglementaire sur la sécurité en ligne?
- Quelle est l’incidence d’une crise de confiance vis-à-vis les organisations et les médias sur les efforts déployés pour légiférer l’Internet?
- Qui sont les intermédiaires qui devraient être soumis au cadre réglementaire et de quelles manières devraient-ils être réglementés?
- Comment peut-on assurer la réussite d’un nouvel organisme de réglementation numérique?
Aperçu de la discussion
Le groupe consultatif d’experts sur la sécurité en ligne, mandaté par le ministère du Patrimoine canadien et coprésidé par Dre Emily Laidlaw, a achevé ses travaux en juin 2022. Le groupe s’est rencontré à plusieurs reprises au printemps pour discuter des nombreux aspects problématiques de la réglementation sur la sécurité en ligne. Il n’avait pas comme mandat de parvenir à un consensus, mais ses membres ont toutefois trouvé un accord sur les points suivants : (1) les entreprises devraient être tenues d’agir de façon responsable et (2) un organisme de réglementation devrait être mis en place. Ces accords ont été pris essentiellement en raison de la position qu’occupent les plateformes, c’est-à-dire à l’intersection de la parole et des droits de la personne, du concept de la sécurité d’un produit et des approches adoptées par le Royaume-Uni (R.-U.) et par l’Union européenne (UE).
La notion de modération de contenu est ce qui a, en grande partie, poussé M. Elon Musk à racheter Twitter à titre de contrecoup. Ce cas illustre à merveille le phénomène transnational actuel de la crise de confiance vis-à-vis le gouvernement et les médias, et les risques que représente l’absence d’un cadre légal et d’un mandat légal visant à réglementer ces entreprises. C’est également un exemple de la manière dont un manque de confiance peut créer des complications dans les tentatives effectuées pour réglementer les intermédiaires en ligne. Enfin, cette situation met en évidence le fait que la gouvernance mondiale de l’Internet n’est pas établie et demande à être repensée. Cependant, plusieurs mécanismes ont permis de réglementer, jusqu’à un certain point, la plateforme Twitter, alors sous le contrôle de M. Musk. Le marché et le choix des utilisateurs ont joué un rôle déterminant dans cette situation, en particulier lorsque les annonceurs et les utilisateurs ont quitté la plateforme. Des régimes règlementaires complexes sont également à l’œuvre, notamment le refoulement qu’a rencontré M. Musk provenant de l’UE. De plus, les fournisseurs de services intermédiaires, tels que les magasins d’applications et les réseaux de diffusion de contenu, sont en mesure d’exercer une pression considérable dû au fait qu’ils peuvent tout simplement retirer leurs services aux entreprises, et ce, à leur discrétion.
La pression qu’exercent les acteurs de l’infrastructure soulève une question quant à la responsabilité des intermédiaires et à leur rôle dans un cadre règlementaire sur la sécurité en ligne. Jusqu’où dans la pile Internet le cadre doit-il s’appliquer? Les principes de transparence, de nécessité, de proportionnalité et de responsabilité permettent de trouver réponse à cette question. Toutes les entreprises devraient évidemment agir de façon responsable. Toutefois, les obligations à cet égard devraient être adaptées au risque que posent ces entreprises au public, comme dans la législation sur les services numériques (DSA) de l’UE. Les entreprises plateformes sont celles qui présentent le plus grand risque pour les Canadiens en ligne et sont aussi les acteurs qui peuvent mettre en œuvre les efforts les plus ciblés, les plus réfléchis et les moins invasifs permettant de bâtir un Internet plus sécuritaire pour les Canadiens. Plus on s’enfonce dans la pile, plus les options de modération de contenu sont vagues et imprécises. Ainsi, les obligations les plus lourdes, telles que les exigences liées à la vérification et au contenu, devraient s’appliquer aux plateformes, tandis que des obligations de transparence devraient suffire aux entreprises œuvrant à un niveau inférieur de la pile. Jusqu’à présent, les acteurs du bas de la pile n’ont été sollicités qu’en raison d’un manquement de la loi, de la politique, de la surveillance et des acteurs travaillant à proximité du contenu. Par exemple, la Cour fédérale a émis des ordonnances de blocage de sites Web, notamment à cause des recours inefficaces mis en place par des intermédiaires de contenu et d’hébergement. Les intermédiaires qui n’hébergent pas de contenu ne devraient pas être soumis aux obligations d’un organisme de réglementation leur ordonnant d’agir sur du contenu; il s’agirait alors d’une violation des droits de la personne et d’ingérences gouvernementales dans l’expression sans l’application des critères juridiques appropriés par le système judiciaire.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ne devrait pas avoir à mettre en œuvre, à superviser et à appliquer le cadre règlementaire sur la sécurité en ligne, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Le Canada devrait suivre l’exemple de l’Australie et créer un nouvel organisme de réglementation numérique. Cet organisme serait chargé de l’application du cadre règlementaire d’une part, ainsi que des aspects relatifs à l’éducation et à la collaboration d’une autre. Si le cadre sur la sécurité en ligne doit également inclure les petites plateformes, il ne doit toutefois pas les pénaliser de sorte qu’elles cessent leurs activités. L’organisme de réglementation devrait participer à l’élaboration de codes de pratique pour l’industrie et former les entreprises afin qu’elles puissent réussir dans cet environnement, plutôt que de craindre les amendes et de considérer la réglementation comme une source d’irritation. De plus, la création d’un seul organisme de réglementation numérique favoriserait la collaboration avec les organismes internationaux de même nature, dont le commissaire à la cybersécurité (Safety Commissioner), et ainsi contribuerait à ce que les géants de la technologie à l’échelle mondiale respectent les règlements du Canada, plutôt que de les contourner en raison de l’étroitesse du marché canadien.
Informations clés
- Le cadre sur la sécurité en ligne au Canada doit reposer sur le principe selon lequel toutes les entreprises devraient agir de façon responsable, puisqu’elles exercent leurs activités à l’intersection de la parole et des droits de la personne.
- Les événements ayant lieu sous la direction de Twitter par M. Musk démontrent l’importance de la mise en place d’un cadre légal et d’un mandat légal pour les plateformes. La polémique actuelle illustre les manières par lesquelles les divers mécanismes – le marché, les systèmes réglementaires complexes du monde, les fournisseurs d’infrastructures – vont souvent à l’encontre l’un de l’autre.
- Bien que toutes les entreprises devraient agir de façon responsable, les obligations s’appliquant aux fournisseurs de plateformes et aux intermédiaires ne devraient pas être les mêmes. Les acteurs de l’infrastructure qui n’hébergent pas de contenu ne devraient pas être contraints d’agir sur du contenu.
- Un nouvel organisme de réglementation numérique devrait être mis sur pied ayant la responsabilité d’appliquer le cadre règlementaire, d’éduquer et d’élaborer des codes de pratique pour les petites et moyennes entreprises. La réglementation du contenu préjudiciable en ligne ne doit pas être laissée au CRTC, puisqu’il n’a aucune expérience dans la gouvernance de l’Internet ou des discours diffusés sur l’Internet.